Dans son ouvrage « Al-Qur’ân fî shahr al-Qur’ân » (Le Coran au mois du Coran, 1969), ʻAbd al-Ḥalîm Maḥmûd (m.1978) écrit :

«إن أصدق وصف للقرآن هو الوصف الذي أتى به القرآن نفسه  »
la meilleure description du Coran est celle que ce dernier fait de lui-même », ou « le meilleur portrait du Coran se trouve dans le Coran lui-même»].

ʻAbd al-Ḥalîm Mahmûd voulait signifier par ces propos que le retour au Coran, la rencontre directe avec le Livre, reste le meilleur moyen pour saisir ses finalités. Pour l’ancien recteur de Al-Azhar, il n’y a pas meilleure occasion pour réaliser cette rencontre avec le Livre que celle du Ramaḍân. Ce mois offre particulièrement, selon lui, l’opportunité de s’interroger sur l’institution des pratiques cultuelles et sur les finalités que le Coran assigne à ces pratiques.

C’est ce que nous avons voulu faire, concernant la pratique cultuelle du Ramaḍân, en allant à la rencontre du Dr. Tahar MAHDI pour qu’il nous livre sa réflexion sur les finalités de ce culte.

Dr. Tahar MAHDI

Dr. Tahar MAHDI
Tahar Mahdi  est docteur en droit musulman comparé, titulaire d’un DEA en anthropologie et histoire des religions, membre du conseil européen de la recherche et de la fatwa de l’union internationale des savants musulmans et recteur de la Mosquée de Cergy (95). Auteur de plusieurs ouvrages spécialisés sur le droit musulman et la théologie, dont Méthodologie de la pensée juridique en islam, édition Dar al-Kalema, 2008.

Les Cahiers de l’Islam : Pouvez-vous nous parler des finalités du jeûne ?

 

Tahar Mahdi : Tout d’abord commençons par les finalités relatives au  niveau individuel :
Les finalités de l’institution de ce mois de jeûne, à travers l’histoire, visent à l’éducation, à la maîtrise de soi. En effet, arriver à nous priver de nos besoins les plus primaires, concernant l’alimentation et la sexualité, c’est commencer à maitriser ses instincts primaires et in fine « s’éduquer » en vue de se maitriser à tous les niveaux.
Cette dimension qui consiste à cultiver la maîtrise de soi durant le Ramaḍân est appuyée par un ḥadîth prophétique dans lequel il est dit :

« إذا سبَّك أو شتمك أحد وأنت صائم فقل: إني صائم  »
[Si on t’injurie ou on t’agresse alors que tu jeûnes, dis : Je jeûne!].

Ici le jeûne devient un comportement noble qui pousse à la maîtrise de soi. Dans une autre version de ce ḥadîth, celui qui jeûne est invité à dire, dans le cas d’une agression violente :

« اللهم إني صائم, اللهم إني صائم, اللهم إني صائم »
[Ô mon Seigneur, certes je jeûne!, certes je jeûne!, certes je jeûne!].

L’objectif recherché ici vise à ce que le jeûne transforme le croyant de façon à ce qu’il puisse atteindre une  paix intérieure, évitant ainsi de répondre au mal par le mal. 

Mais ce n’est pas tout. Le jeûne porte en lui une finalité sociale :
En effet, le croyant étant un être social, vivant dans une société à l’intérieur de laquelle il est aussi membre d’une communauté (umma), il est invité au partage. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il est fortement déconseillé, durant le Ramaḍân, de déjeuner ou de rompre le jeûne seul, le mieux étant de toujours partager ses repas avec d’autres, qu’ils soient musulmans ou non-musulmans. Ainsi, la dimension sociale vise à cultiver des liens entre les individus qui constituent la société et promouvoir la fraternité.

 

Enfin le jeûne a pour finalité de renforcer la dimension altruiste de chacun d’entre nous :
Par cette dimension, qu’il est difficile d’atteindre, il s’agit de dépasser le partage et de préférer l’autre à soi-même. A l’époque prophétique, il n’était pas rare de voir une personne donner tout ce qu’elle possède, comme nourriture, à quelqu’un venant  frapper à sa porte.
A notre époque, nous préférons emmagasiner la nourriture, parfois, pour tout le mois, sans penser à cette autre dimension du jeûne qui est l’altruisme.

En résumé, la finalité première du Ramaḍân reste avant tout l’élévation de l’individu.Cela se trouve confirmé par le verset coranique qui dit « Ô vous qui avez cru! Préservez vos personnes et vos familles, d’un Feu dont le combustible sera les gens et les pierres » (66, 6).
L’homme doit ainsi commencer par se préserver, par se « retirer », afin de pouvoir agir en faveur de ceux qui l’entourent et d’être capable de préserver ces derniers de ses agissements. 

Les Cahiers de l’Islam : Comment concilier la modération voulue durant le Ramaḍânet la sur-consommation ou l’hyper-consommation devenue la norme à notre époque ?

Tahar Mahdi : A vrai dire, il s’agit là d’un problème réel qui touche l’ensemble des communautés religieuses. De nos jours, le plus souvent, les fidèles transforment les occasions religieuses en période de sur-consommation, voire parfois de boulimie. Malheureusement, nous constatons le même phénomène chez les musulmans durant le Ramaḍân. Ces derniers ont même tendance, parfois, à dévaliser totalement les magasins dans le seul but de faire des stocks. Ceux qui agissent comme cela montrent clairement qu’ils ont fini par oublier les finalités premières de ce mois que nous avons évoqué précédemment. En effet, si durant le Ramaḍân nous ne ressentons pas la faim, il manquera quelque chose à notre jeûne. De même, si notre rapport à la nourriture n’évolue pas, durant ce mois, vers la modération et la pondération, alors notre compréhension du Ramaḍân est défaillante.

Dans un ḥadîth, le Prophète (ç) dit que certains jeûneurs « n’auront de leur jeûne que la soif et la faim ». Or de nos jours, notre sur-consommation vise à ce que nous ne ressentons ni soif, ni faim, alors que dans le ḥadîth on comprend que la soif et la faim sont des « compagnons » pour le jeûneur. Mais, nous ne voulons même plus de ces « compagnons », d’où la course à une consommation disproportionnée.
Cette course à la sur-consommation reste incompréhensible, puisque, comme nous l’avons dit, le Ramaḍân est l’occasion de « faire le vide », de se débarrasser de ses mauvaises habitudes pour aller vers une conduite meilleure pour soi et pour la société. Autrement dit, le Ramaḍân obéit au dicton « التخلّي قبل التحلّي » (dans le sens de se « débarrasser de ce qui est mauvais pour aller vers ce qui est meilleur » [انتقال من الشر إلى الخير]). Il est donc nécessaire de revenir à cette éducation personnelle que constitue le Ramaḍân.
Se pose alors la question de savoir comment arriver à ne pas faire du Ramaḍân un mois de sur-consommation ? A minima, dans le cas où la personne voit qu’elle ne peut pas diminuer sa consommation, il convient qu’elle fasse au moins l’effort de ne pas l’accroître. Nous n’avons pas à consommer plus durant le Ramaḍân. Ce sont les actes d’adoration, de bonté et de piété qu’il faut accroître durant le Ramaḍân et non la consommation de nourriture.

Les Cahiers de l’Islam : Le Ramaḍân étant aussi le « mois du Coran » (shahr al-Qur’ân) : comment profiter de ce mois pour améliorer sa connaissance de la Révélation ?

Tahar Mahdi : Le Ramaḍân est, effectivement, l’occasion pour nourrir son esprit et approfondir ses connaissances. Durant ce mois, nous pouvons notamment apprendre le « fiqh du Ramaḍân » (relatif aux règles à observer pour le jeûne et durant –et après- ce mois).
C’est certainement aussi un mois durant lequel il nous faut chercher à évoluer sur le plan intellectuel pour mieux comprendre les finalités de nos cultes et mieux connaître l’histoire de l’Islam.
C’est pourquoi le prophète (ç) a dit pour celui qui ne refaçonne pas ses attitudes durant ce mois et n’évolue pas : « il est certainement loin de la miséricorde d’Allah ».

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